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Séminaire sur [REF·REL] - “Théologie et sciences sociales : des sujets aux objets et retour”

18 December 2013
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Photographies Stéphane Eloy

Séminaire EHESS-PRI “Théologie et sciences sociales : l’an Deux”
Séance du mercredi 18 décembre 2014
15 h-17h, Salle Alphonse Dupront, 10 rue Monsieur-le-Prince, 75006 Paris
Intervenant : Bruno Latour (“Théologie et sciences sociales : des sujets aux objets et retour”)

Merci à Pierre Lassave et Stéphane Eloy pour leur accueil à l'EHESS, ainsi que pour la mise en ligne et le partage de ces informations et de l'enregistrement audio de la conférence :

Après un rappel par Pierre Lassave de quelques tensions entre sciences sociales et théologies, la dynamique de la séance sera centrée avec Bruno Latour sur ce que son “enquête sur les modes d’existence” (EME) permet de penser de ces tensions, des sujets et objets qui s’y échangent.

Ci-dessous le texte introductif de Pierre Lassave (également téléchargeable à ce lien).

Séance séminaire PRI 18 décembre 2013

Introduction à la séance Pierre Lassave (CEIFR-ASSR)

Cette séance de reprise du séminaire de réflexion sur les rapports entre sciences sociales et théologie est placée sous le regard de Bruno Latour (BL). Sa vaste « Enquête sur les modes d’existence » des associations modernes qui ont pris le nom de science, d’économie, de droit mais aussi de religion nous a semblé utile, notamment pour mieux situer la théologie à au moins deux de ses bords : religieux d’un côté, scientifique de l’autre (sans avoir trop peur des gros adjectifs). Avant de lui laisser la parole, je voudrais pour lui résumer quelques points de nos réflexions antérieures. Jusqu’alors on a envisagé le rapport entre sciences sociales et théologie sous 3 angles : 1) La théologie comme objet empirique des sciences du religieux :
2) Le lien génétique entre théologie et sciences sociales ;
3) Les interactions entre ces ordres de discours.
Reprenons pour chaque point quelques éléments saillants.

1) Les querelles théologiques ont constitué comme l’on sait un territoire marquant de l’historiographie moderne qui a voulu reprendre sur un mode critique et objectivant les développements de l’intelligence de la foi dans la confrontation de ses écoles et de ses époques depuis l’origine même des premiers dépôts scripturaires. L’histoire des religions est son nom, la Religionsgeschichte faudrait-il même dire pour marquer tout ce que cette thématique disciplinaire doit à l’Aufklärung prussien et luthérien. Cette thématique procède aux comparaisons systématiques entre traditions de pensée, y compris hors du berceau chrétien depuis l’orientalisme du XIXe siècle. Tout cela est bien connu, je passe. Indiquons seulement au passage que la sociologie s’est peu aventurée en ces terrains de raisonnements longuement marqués par le moment scolastique, sauf pour les réduire à leurs tenants et aboutissants sociaux. On peut ici citer le cas proche des travaux minutieux d’Emile Poulat sur la crise moderniste dans l’Eglise catholique du tournant du XXe siècle. Le cas wébérien des affinités électives entre angoisse puritaine et investissement industriel au XVIIe siècle reste le plus emblématique. L’anthropologie a dès lors démultiplié l’observation des formes les plus syncrétiques de ces corrélations entre pensée des mystères et milieu. L’inventaire en reste à faire.

2) Quant au lien de parenté entre théologie et sciences sociales, je rappelle que nous sommes dans l’immeuble même où a vécu, aimé et souffert Auguste Comte, l’inventeur de la loi des trois états (Théologie-Métaphysique-Science positive). Je passe sur cette chaine d’ordres de discours longuement commentée dans ses passages d’un état à l’autre avec ses incessants retours. Puisque BL nous fait l’honneur d’être parmi nous, je lirai seulement une des conclusions qu’il tire de sa lecture sémiotique et « symptômale » des Formes élémentaires de la vie religieuse d’Emile Durkheim (FEVR, 1912):
« Il ne servirait à rien de se plaindre de ce que Durkheim aurait hypostasié la société. Ce personnage-clef ne se donne même pas le mal de dissimuler le Dieu Peuple Unique auquel il s’agit de rendre un culte en lui inventant de nouvelles formes. L’étrangeté vient plutôt de l’impasse où se trouve, au tournant du siècle, ceux qui veulent maintenir dans une même divinité, l’individu coffre-fort du libéralisme, le sujet humien, les a priori kantiens, la Troisième République, la laïcité, la moralité, la foi de leur enfance, sans revenir pour autant à des formes archaïques de piété et sans ridiculiser, à la Voltaire, les folles inventions pieuses ni les rituels insensés des païens. Et le tout, difficulté supplémentaire, sans croire à aucun être supérieur et transcendant, tout en croyant en la transcendance d’un organisateur global de toutes les relations afin de sauver l’ordre, la morale et la civilisation. Et par-dessus tout, en croyant à la Science avec un grand S. La solution la plus biscornue consiste à tout faire reposer sur le plus improbable des montages : la dialectique des dieux fabriqués par ceux qui, pourtant, les fabriquent, reprenant ainsi les impasses de ce mélange curieux de nihilisme et de constructivisme si typique des Modernes et de ce qu’on appelle encore, sans s’apercevoir de l’étrangeté de ces croyances, leur « esprit critique. »

La thèse du monothéisme sociétal implicite à la fondation durkheimienne n’est pas nouvelle. On en connait les modalités et les limites : élection de la personne volontaire en foyer central de l’humanité quand bien même le sacre des droits de l’homme n’a pas éradiqué les traditions religieuses dont ils sont issus. La lecture de BL vise l’hypostase de la société comme matrice totalisante des agissements humains en ce que celle-ci élimine sans reste de son horizon les associations libres et les réciprocités entre individus, êtres et choses qui font la trame des modes d’existence aussi variés que ceux de la religion, de la science, de l’art, du droit ou de l’économie.

3) Cela nous amène au troisième angle d’approche des liens entre théologie et sciences sociales : les interactions latentes entre ces régimes de véridiction, les services réciproques qu’ils se rendent entre eux. Un inventaire reste également à faire tant ces choses-là relèvent d’un commerce général rendu invisible par les barrières douanières qu’il se donne nécessairement pour créer des valeurs différentielles. Je vais essayer d’être moins abstrait. M’étant récemment risqué à entreprendre une sociologie de ce qu’il reste encore aujourd’hui de l’exégèse biblique à vocation savante (L’appel du texte, 2011), je suis ainsi tombé sur tout une histoire de ces interactions qui court à travers au moins deux siècles sous le vocable légendaire des « Trois quêtes du Jésus historique ». Très schématiquement :
a) A l’époque d’Auguste Comte une partie de l’Europe universitaire s’est lancée à la conquête de l’identité historique de Jésus de Nazareth à l’encontre des légendes qui font la postérité du Christ. De multiples biographies en ont résulté tout au long du XIXe siècle ; la plupart sont censées écarter des faits tout miracle, toute résurrection et autre élément surnaturel. Au tournant du XXe, Albert Schweitzer, alors bibliste et pas encore docteur missionnaire à Lambaréné, fait sensation en tirant le bilan critique de ces nombreuses « Vies de Jésus » qui ne peuvent que se fonder sur des sources pieuses et disparates et qui ne font chacune que projeter les idéaux différents de leurs auteurs : ici le rabaissement du Christ de la foi à un prophète apocalyptique parmi bien d’autres dans une colonie troublée de l’empire romain, là l’exhaussement laïque d’un individu qui, comme l’écrit Renan, « a fait faire à son espèce le plus grand pas vers le divin », etc. Passons sur le succès public de la Vie de Jésus selon Renan (« sa prédication était suave et douce, toute pleine de la nature et du parfum des champs »), passons aussi sur l’écho littéraire des démêlés du savant avec l’Eglise que l’on retrouve dans le récit du combat de Jésus contre les pharisiens, et restons-en au fiasco de ces entreprises positivistes qui tout compte fait reposent sur pas grand-chose d’irréfutable et ne signifient pas plus que le romantisme de leurs auteurs et lecteurs.

b) Mais les facultés de théologie, notamment celles d’inspiration luthérienne les plus avancées de toutes dans l’exégèse biblique, ne pouvaient en rester à ce constat d’échec. Elève de Karl Barth le pourfendeur de la pente libérale menant à l’oubli de l’irréductible transcendance divine, Rudolf Bultmann, professeur de Nouveau Testament à Marbourg, va progressivement sortir l’exégèse de l’impasse après la Grande Guerre. Dans le droit fil des théologies de la séparation entre l’improbable Jésus de l’histoire et l’énigmatique Christ de la foi, il refonde la quête historique sur de nouvelles bases : c’est parce que l’annonce évangélique du salut se réfère à une expérience existentielle, qui sur le fond dépasse l’horizon des temps et des cultures, qu’il devient nécessaire d’être particulièrement attentif aux formes mythologiques qu’elle a prise dans les textes reçus et refondus entre de multiples traditions. C’est la deuxième quête qui court et rebondit jusqu’aux années d’après la seconde guerre dans un espace transatlantique, notamment libéré de la répression nazie contre « l’Eglise confessante » allemande à laquelle Bultmann appartenait. Où dès lors l’innovation méthodologique noue des alliances décisives avec l’historiographie de l’imaginaire antique et la sémiotique des textes. Je suis obligé de passer sur cette impressionnante batterie de critères d’authentification des traditions qui résulte de ces travaux philologiques et narratologiques extrêmement minutieux. Je retiens seulement le critère dit d’embarras théologique qui fait que plus une tradition diverge d’une doctrine supposée, plus elle a de chances d’être authentique. (On retrouve là un ancien principe de critique textuelle : le Lectio difficilio probabilior défini par Johann A. Bengel, dans son Gnomon de 1742). Ainsi par exemple ici : l’étrange préséance dans tous les textes de Jean le Baptiste sur Jésus.

c) Mais la troisième quête qui se poursuit aujourd’hui dans les Divinity Schools américaines comme dans les laboratoires archéologiques israéliens conduit à l’inverse à la traque de cohérences partielles dans une conception plurielle et des sources (la littérature apocryphe est particulièrement recherchée dans ses interférences avec les traditions canoniques qu’elles soient chrétiennes ou juives) et des régimes de vérité (la figure de Jésus est redistribuée en prophète juif marginal, en sage cynique itinérant, en agitateur révolutionnaire, en maître de vérité gnostique, etc.). La christianisation de Jésus s’avère dès lors comme un analyseur de la divinité historique à l’origine de la colonisation occidentale du monde. La théologie des religions prônée par un certain œcuménisme contemporain vient alors au secours de cette pluralisation anthropologique du Christ qui prend place dans le panthéon de la globalisation à côté de Bouddha, de Muhammad ou de Confucius. Christoph Theobald, théologien jésuite, parle à ce propos de « styles différentiels de confrontation aux énigmes de la vie et de la mort ».

En somme, dans la première quête, la théologie sert de contre-épreuve à une historiographie positive ; dans la seconde, elle relance la génétique et la sémiotique des textes ; et dans la troisième, elle légitime leur anthropologie plurielle. La description de ce qui s’échange en termes de concepts, de méthodes et de disciplines qui gravitent autour des questions théologiques reste sans doute à développer en suivant de plus près les êtres et les choses à multiples échelles qui s’associent en séquences variées selon les continents. Mais je voudrais revenir à la sociologie qui sur ces questions aurait tenté de prendre la place de la théologie. Si une lecture contemporaine des FEVR peut conduire à ce dernier constat, les choses ne sont pas allées de soi jusqu’aujourd’hui. Une généalogie des embarras s’impose à cet égard.

Après la scène des Trois quêtes du Jésus historique, je voudrais ainsi prendre pour exemple certaines médiations par lesquelles la sociologie des religions s’est reconstruite après-guerre contre, mais aussi tout contre la sociologie pastorale, du moins dans le cas expérimental de la France.

Témoin et acteur de ce moment, François-André Isambert constate dans un ultime bilan (ASSR, n° 93, 1996) que sans l’engagement d’un groupe de dissidents de la sociographie catholique, la sociologie universitaire n’aurait pu se réinscrire dans les lignées durkheimienne et wébérienne et indexer leurs visées à une sorte d’anthropologie générale des instances symboliques. Au début des années 1950, les barrières douanières entre sociologie et théologie étaient comme posées par Gabriel Le Bras pour être mieux défaites par Henri Desroche son plus proche collaborateur venu précisément de la théologie. L’exégèse des écrits et des paroles de Le Bras montre ainsi que le doyen canoniste divise l’objet de connaissance en trois mondes : le communiel ou assemblée des adhérents ; le supranaturel où siègent les puissances cachées ; le civil au milieu duquel s’établit la compagnie. Au premier la sociologie, au second la théologie, et au troisième la science politique.
Dans la même veine séparatrice, il ajoute ailleurs : « Il y a des secteurs que le catholique s’interdit d’explorer : celui de la Révélation. Car si les mythes des peuples archaïques sont une invention de la tribu, les mystères chrétiens sont une dictée de Dieu à l’homme qui se borne à traduire en son langage » (sic). Mais ajoute-t-il aussi dans la foulée : « la part de l’homme commence aux écoles de théologie qui surgissent dans des milieux observables dont elles expriment quelques-unes des particularités. »
Il reste à l’ex dominicain Desroche à franchir le pas du fait social total accessible à la description sociologique en affirmant que l’histoire des dieux fait partie de l’histoire des hommes et qu’il n’est de dieux que d’hommes.
Par la multiplication des confrontations entre systèmes de croyances et de pratiques de par le monde, le Groupe de sociologie des religions (GSR) réuni par Desroche tend à rejoindre l’idée de Lévi-Strauss selon laquelle les représentations et les comportements dits religieux n’ont plus rien de spécifique, notamment lorsque les us et coutumes prennent toute la place. Mais la tension entre tradition et modernité résiste à la banalisation de l’objet religieux avec le paradigme de la sécularisation du monde qui domine les débats savants d’un continent l’autre.

Il faut sans doute quitter la grande glose sur la perte, le retour ou la trace du religieux en régime de modernité pour suivre les chemins de traverse qu’empruntent certains piliers du GSR après les années 1980 : - après avoir rempli sa mission de refondation sociologique, Desroche finit sa carrière dans l’animation de coopératives de développement social dans les pays déshérités ; - Isambert est depuis longtemps passé des paroisses au décodage de ce qui se joue dans les comités d’éthique à propos de manipulations génétiques ; - Jacques Maître, spécialiste de la statistique religieuse et militant de multiples causes successives (Résistance, gauche de l’Eglise, parti communiste, psychanalyse), explore à la retraite les arcanes de la mystique thérésienne. Dans sa socio-psychanalyse de Thérèse de Lisieux (L’Orpheline de la Bérésina, 1996), il déconstruit ainsi le roman social, familial et ecclésial qui fait que la jeune carmélite rêve de reposer dans le sein de Jésus métamorphosé en mère qui allaite son bébé aux portes de la mort. Exploration en profondeur des recoins de l’énergie mystique qui s’explique par une sorte d’auto-analyse du chercheur qui a franchi les barrières le brasiennes, mais qui augure en même temps de la prise au sérieux des êtres psychogènes les plus régressifs par lesquels une religion peut encore et toujours instaurer le sujet en personne. Processus en chaîne qui je crois est au centre de l’enquête menée par BL.

Les velléités réflexives des sciences sociales ces dernières années, avec ses ego-histoires plus ou moins formalisées dans les cursus académiques, laissent alors entendre qu’à défaut de pouvoir théoriser un rapport problématique à l’objet, le cours narratif peut se charger de dire par quel enchainement d’expériences et de pensées l’objet religieux trouve à exister encore. Je viens à cet égard d’entreprendre l’analyse de plusieurs dizaines de récits de parcours de sociologues des religions nés après-guerre de part et d’autre de l’Atlantique. Si certains sociologues américains exercent dans les facultés de théologie protestante ou catholique, peu d’entre eux développent un dialogue frontal avec la théologie hormis le fait de la réduire à sa socialité. Comme en France, c’est plutôt de théologie implicite que parlent indirectement les récits rencontrés.
Mais je voudrais ici seulement évoquer comment dans les replis ou les rebondissements d’un parcours, le sujet peut devenir objet et inversement en s’inventant de nouvelles perspectives. Prenons qu’un seul exemple, celui de ce qu’Elisabeth Claverie appelle ses « péripéties de recherche ».
Après des premiers travaux historiques sur les tensions liées à l’institution des procès d’assise en Lozère au XIXe siècle, la narratrice part ainsi en ethnologue vivre avec les communautés agro-pastorales du plateau de Margeride pour observer de près le « malheur » de leur mort annoncée. En suivant les « parcours thérapeutiques » des personnes, elle découvre combien le pèlerinage à Lourdes est important pour certaines d’entre elles ; participer à leurs pèlerinages s’impose donc. Et c’est dans l’autocar, à l’occasion de l’accompagnement de pèlerins locaux vers la Vierge de San Damiano en Italie (décision locale spontanée qui n’a pas reçu la bénédiction du curé), que la passagère se voit passer du regard condescendant sur cette manifestation vaguement clandestine vers une sorte de lâcher prise de l’esprit géométrique qui va lui faire mettre en chaînes d’équivalence les prières, les larmes, les rires, les chapelets, l’eau bénite, les chants, les rêves et tous autres êtres et choses qui définissent et élargissent la situation. De là, sa décision de faire des pèlerinages mariaux des « sites » privilégiés de mise en phase d’entités hétérogènes allant de l’autocar aux apparitions, en passant par le dogme de l’Immaculée Conception et le guide touristique. L’athéisme méthodologique des sciences sociales qui repoussait l’explicitation du surnaturel vers la théologie se voit donc remis en question par l’observation attentive d’un simple groupe de pèlerins. Le « théisme méthodologique » ici prôné incite le sujet connaissant à intégrer dans sa perspective les puissances actives jusqu’alors écartées de l’objet.
De quoi redéployer l’espace de rencontre entre compétences ethnographiques et théologiques. Les tentatives en ce sens mériteraient un état des lieux.
Je signalerai seulement celle d’Albert Piette qui dans La religion de près (1999) s’est essayé à suivre par le menu le cours d’action d’une paroisse catholique ordinaire, en portant notamment au jour le travail répétitif mais à variations infinies du rendre présent, du transmettre ou du s’inscrire dans un récit. Où l’énoncé théologique sert comme disait Lévi-Strauss à conjurer par ses clôtures de répétition les discontinuités de la pensée, mais aussi les intermittences du cœur pour saluer Marcel au passage. Reste qu’il faudrait regarder maintenant la théologie elle-même en train de se faire comme j’ai pu à peine m’y essayer dans mon enquête sur les biblistes à l’œuvre.

Mais plus généralement, Danièle [Hervieu-Léger] pourrait nous en dire long sur ces jeux de perspective qui donnent consistance scientifique à l’objet théologique, elle à qui la sociologie des religions doit d’avoir décelé dans l’appel à une autorité légitimatrice et dans l’inscription de soi dans sa mémoire un critère d’universalisation possible de son objet.

Et puisque nous avons invité Bruno [Latour], je voudrais lui proposer de nous indiquer comment sa vaste Enquête sur les modes d’existence des associations modernes, permet de situer la religion par rapport à la science et plus précisément encore la place qu’a prise entre les deux la théologie et les traces qui en restent aujourd’hui à toutes fins utiles. Si l’expérience de transformation de soi (metanoia chrétienne et son événement existentiel) se donne pour tous les temps, la théologie de l’incarnation ne la fait-elle pas passer par l’épreuve de l’histoire comme le montre nos trois quêtes du Jésus historique ?
Les théologies censées ordonner la profusion des êtres psychogènes, par exemple la trinité dans le cas catholique, ne sont-elles pas les véhicules indispensables à l’instauration des sujets quand bien même l’expérience mystique analysée par Maître relève du nécessaire bricolage de toute pensée humaine ?
Je voudrais pour finir relever le ton prophétique que l’on trouve à la fin de L’Enquête ME sur les finalités qu’elle se donne, notamment pour continuer à exister sur une terre commune menacée d’implosion climatique. Par ex, p. 326 :
« Un Dieu de l’Incarnation, enfin revenu sur Terre, n’est-ce pas ce qui nous préparerait mieux à ce qui nous attend que l’étrange idée d’une religion qui nous élèverait vers le ciel ? » Ou p. 480 :
« Un Dieu de salut entièrement lié à la qualité de conversion de ceux qui l’invoquent, délivré de l’obligation d’injurier les fétiches et de légiférer sur les affaires de mœurs et de cabinet, ne serait-il pas plus capable de trouver son assise dans une Eglise enfin réassemblée ? »

Ce registre prophétique, qu’il faut assurément prendre au second degré pour ne pas gâcher son plaisir, constituerait-il une ultime preuve de l’utilité rhétorique de la pensée théologique dans le règlement des querelles de points de vue en sciences sociales ?

Ressources externes:

http://ceifr.ehess.fr/index.php?1204
http://ssr.hypotheses.org/161
https://archive.org/details/Seminaire-PRI-18.12.13-2013

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